comme orphelin de guerre

Patrice
21 ans, 1ère bac professionnel
Pour ma mère, l'appel du 18 juin 1940 évoque d'autres souvenirs que le discours du général de Gaulle. Car ses parents ont choisi l'exode. Craignant de manquer de ravitaillement avec leurs quatre enfants, ils ont préféré quitter Paris et se rendre en province.

Mais ils avaient hélas rendez-vous avec la mort lors du bombardement d'Issoudun le 18 juin 1940. Son frère aîné a été tué lui aussi, sa sœur fut blessée d'un éclat d'obus. Son deuxième frère a été touché aussi, mais ma mère fut protégée par son landau.
Ensuite, il a fallu trouver aux trois orphelins un lieu d'accueil. Mauricette, l'aînée par la force des choses, a été recueillie par le frère de sa mère qui avait besoin d'aide à la ferme. Malgré son jeune âge, Christian a trouvé lui aussi preneur chez un oncle par alliance. Quant à ma mère, elle était trop embarrassante pour le reste de la famille vu son jeune âge (3 mois).
Ma mère a connu un grand bonheur durant sept ans, car elle avait trouvé l'amour auprès d'amis de ses parents. Là où sa famille avait fait défaut, l'amitié sincère avait suppléé.
En 1947, l'Etat les reconnaît pupilles de la nation et nomme un tuteur (oncle par alliance) du fait du désistement des autres membres de la famille.
La première chose que fit le tuteur qui avait adopté Christian, fut de réunir les deux fillettes, non pas pour les garder mais pour les mettre à l'orphelinat à La Rochelle.
Pour ma mère, c'est l'horreur car elle est arrachée à ceux qu'elle croyait être ses parents ; finis les câlins, l'amour, car, n'étant pas de la famille et ne représentant par les desiderata de l'Etat, ils ne sont rien pour elle donc n'ont aucun droit. Le déchirement est alors atroce. A l'orphelinat, ma mère et sa sœur se trouvent à l'unisson avec d'autres enfants victimes eux aussi des adultes qui les entourent : brimades, injustice, intolérance. Ma mère se retrouve dans le clan des révoltés et des pestes. Elle ne voulait pas que l'on s'acharne sur les plus faibles et les plus démunis tels que sa sœur ou les petites de l'Assistance Publique qui servaient de bouc émissaire.
A sept ans elle prend sous sa protection un bout de chou de trois ans et pendant sept autres années, c'est sa guerre à elle.
En écrivant à sa mère adoptive et en recevant son courrier chez ses camarades externes de l'internat, ma mère sut préserver sa part d'amour, malgré la séparation et les interdits. Vis-à-vis des religieuses, ~de son tuteur et des institutrices, ma mère est devenue une forte tête insolente. Cela dure sept années au bout desquelles la supérieure de l'orphelinat déclara forfait et ne voulut pas la reprendre plus longtemps. Son tuteur essaya pendant un an de la mettre dans un collège près de chez lui mais y renonça.
Devant une gamine arrogante et désagréable, il décida de la mettre dans un collège à Saint-Yrieux-la-Perche en Corrèze et, pour les vacances, chez cette mère adoptive qu'elle réclamait tant. De cette façon il serait tranquille et, elle, aurait les ennuis.
Trois années passèrent. Le hérisson qu'était ma mère se transforma en jeune fille douce, polie et calme. Car en face d'elle, il y avait une directrice, des professeurs qui ont su l'écouter, la soutenir et la comprendre. Ma mère avait gagné sa guerre : elle était retournée vivre avec celle qui n'a jamais cessé d'être sa mère.

A part avoir le nom de leur famille marqué sur un monument aux morts dans une ville, que reste-t-il aux pupilles de la nation ? Mon grand-père paternel fut lui aussi pupille de la nation de la guerre 14-18, son père fut enterré on ne sait où.