Ils étaient sous la domination de contremaîtres appelés "békés". C'étaient des personnes riches, de race blanche. Ils étaient très dominateurs, exigeants et cruels. Ils nous ont ramenés d'Afrique et nous sommes devenus esclaves aux Antilles. Nous étions sous leurs ordres, ils nous battaient tout le temps. Leur violence provoquait une haine permanente, y compris entre nègres.
Au fur et à mesure, nous cherchions des moyens pour nous échapper.
Le soir, les békés aimaient nous entendre chanter le "gro ka", une danse qui se joue avec un tambour appelé "ka" en créole. Les "tambouriers", les hommes, jouaient ou plutôt chantaient en créole. Grâce aux chants du "gros ka", nous nous envoyions des messages, nous nous donnions une heure et un endroit précis pour nous échapper. Mais un jour, les békés ont compris ce qui se passait et ont décidé de ne plus nous laisser jouer du "gro ka".
Ceux qui se sont échappés ont été rattrapés et ont été enfermés dans des tonneaux cloués. Les békés les ont fait rouler tout le long d'une colline. Nous étions fouettés jusqu'au sang et enfermés dans des prisons pour nègres. J'en ai visité une, c'était terrible : l'équivalent d'une salle de classe pour vingt élèves contenait une centaine de nègres. Ils étaient les uns sur les autres. Lorsque l'un était malade et vomissait, l'autre était si affamé qu'il mangeait ce qu'il avait rendu. C'est ma grand-mère qui m'a raconté la vie des esclaves. De plus, à l'école, quand j'étais petite, les instituteurs antillais nous parlaient beaucoup de cette période. Je suis arrivée, seule, en France, à treize ans.
Mes parents sont restés aux Antilles. J'ai d'abord habité chez ma tante. Je me sens plus antillaise que française. Je suis fière d'être noire.